Taverny l’anti-modèle : destruction de terres agricoles par un « éco-quartier » pour financer des travaux en centre-ville

Dans le Val d’Oise, depuis 2018 l’association Changeons d’Ère à Taverny, rejointe en 2021 par Taverny sur Terre, combat un projet qui concentre ce qui se fait de pire en matière de bétonisation et de greenwashing.

La ville a lancé la révision du PLU et la création d’une ZAC dite « Quartier des T » qui regroupe 3 opérations pourtant éloignées les unes des autres :

  • des travaux de prestige en centre-ville : destruction d’une halle qui a moins de 30 ans pour en reconstruire une « plus jolie » quelques dizaines de mètres à côté ; remplacement du parking gratuit par un parking souterrain payant sans place de stationnement supplémentaire par rapport au parking actuel
  • de la promotion immobilière dans le quartier Verdun/Plaine sur l’emplacement de l’actuelle piscine de Taverny : cette piscine a vocation à être détruite pour être remplacée par une piscine « olympique » pharaonique, dont le coût est passé de 32 millions à 50 millions d’euros et dont la construction a déjà détruit plus de 30 000 m2 d’espaces verts
  • la construction d’un nouveau quartier, dit « éco-quartier », sur les terres agricoles cultivées des Ecouardes, comptant au moins 1000 nouveaux logements implantés loin des gares du territoire : 14 hectares de terres a minima seraient détruites
A plusieurs reprises par le passé la majorité a prétendu que ces terres n’étaient pas cultivées…

Tout d’abord un focus sur cette erreur historique : 14 hectares de terres agricoles cultivées sacrifiées pour un nouveau quartier à bâtir à Taverny

Ce choix dramatique, à rebours des enjeux du réchauffement climatique et de la lutte contre l’artificialisation des sols, est lourd de conséquences :

  • la perte de capacité nourricière locale, alors que l’Ile-de-France n’a que 4 jours d’autonomie et que les terres agricoles franciliennes sont rares
  • la perte de capacité d’absorption de CO2
  • la perte d’ilots de fraicheur alors que les canicules sont de plus en plus fréquentes et aiguës.
  • la perte de biodiversité
  • la disparition d’un important lieu de promenade apprécié
  • des risques importants pour la santé des habitants : augmentation du nombre de véhicules, un millier environ, dans une zone déjà très affectée par la pollution de l’air et sonores des voitures et des avions
  • un intense greenwashing (éco-blanchiment) et beaucoup de cynisme : le terme « éco-quartier » est utilisé pour faire croire à une opération écologique. En réunion publique, il a été expliqué que ce quartier, pourtant construit en détruisant des espaces naturels, « ramènera la biodiversité » et « optimisera la qualité de l’air »
  • la condamnation à terme des cultures avoisinantes. Réduire les surfaces cultivées n’est pas sans conséquences. Une rentabilité moindre, une rotation des cultures plus difficile.
  • le 1er septembre 2022, la MRAE a écrit sur cette ZAC que « la révision du PLU de Taverny est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement et sur la santé humaine »  
C’est une chance de disposer de terres agricoles en ville : quelle folie de les détruire !

Pourquoi une telle obstination pour un projet en totale opposition avec tous les enseignements des rapports du GIEC, les alertes sur les dangers de l’artificialisation massive des sols et la nécessité d’agir face à l’urgence climatique ?

L’explication se trouve dans le détail sur le montage financier de la ZAC « Quartier des T » de l’opération, de 64 millions d’euros au total (!).

Car c’est la charge foncière des logements du futur « éco » quartier, qui porte bien mal son nom, qui financera les travaux du centre-ville : sans les logements de l’éco-quartier à construire sur les terres agricoles, pas de travaux en centre-ville, car pas de financement pour ces travaux.

Les chiffres ci-dessous sont les chiffres officiels votés en conseil municipal :

En dépenses ces 64 millions d’euros se répartissent comme suit : 24 millions pour les travaux du centre-ville, 3 millions pour le quartier Verdun et 37 millions pour l’éco-quartier sur les terres agricoles

En recettes la répartition est : 0 million pour le centre-ville, 6 millions pour le quartier Verdun et 58 millions pour l’éco-quartier sur les terres

Donc les 24 millions de travaux de prestige du centre-ville sont financés par : 21 millions provenant du bénéfice réalisé sur le dos des terres agricoles et 3 millions de promotion immobilière là où siège actuellement la piscine (qui sera détruite pour être remplacée par la piscine olympique en cours de construction dont la construction a déjà détruit 3 hectares d’espaces naturels).

Ce cynisme d’une destruction du vivant pour financer des travaux eux-mêmes douteux (détruire une halle de moins de 30 ans plutôt que de la rénover) est assumé et justifié par sa légalité.

Ainsi cette opération illustre ce qui se fait de pire en termes d’instrumentalisation du droit de l’urbanisme :

  • un des arguments mis en avant est une déclaration d’utilité publique en 2005 prévoyant des constructions sur ces terres agricoles. Mais depuis, il y a aussi de nouveaux rapports du GIEC, la meilleure compréhension de l’urgence climatique et de la nécessité de limiter l’artificialisation des sols !
  • le PLU est révisé dans la précipitation avant qu’advienne le nouveau SDRIFE et d’éventuelles prises en compte de l’objectif de zéro artificialisation net : même si on craint d’être déçu par le manque d’ambition du SDRIFE, il est à craindre pour les promoteurs et élus bétonneurs que quelques mesures rendent plus compliquées une telle opération qui détruit des terres agricoles cultivées que tout pousse au contraire à préserver
  • la loi du Grand Paris, et ses 60 000 logements à construire par an, est invoquée comme dans beaucoup d’endroits pour justifier cela, et ce d’autant plus facilement que Grand Paris Aménagement porte l’opération : or nous ne sommes pas dans le périmètre du Grand Paris et ces 1000 logements à construire sur les terres seront loin de toute gare. Et surtout cette loi du Grand Paris ne correspond plus ni aux exigences de l’urgence climatique, ni aux aspirations de la population comme en témoignent le retour en grâce des villes moyennes, l’impact du développement du télétravail et les chiffres catastrophiques de vente de logements en Ile de France en 2022.
  • les textes votés par l’intercommunalité, l’agglomération du Val Parisis (la plus peuplée du Val d’Oise) n’aident pas non plus : cette agglomération a présenté son Plan Climat Air Territoire lors de son dernier conseil communautaire. Ce plan ne contient…aucune action de lutte contre l’artificialisation des sols.
  • les logements vacants (600 à Taverny d’après l’Insee) et le potentiel de réhabilitation (plutôt qu’artificialisation) demeurent des angles morts, totalement ignorés 
Les terres fertiles sont rares en Ile-de-France : sauvons nos terres agricoles !

Pourtant il est possible d’aménager et de construire ailleurs et autrement !

Tôt ou tard de tels projets seront tout bonnement interdits par les règles et/ou les populations : certes lentement, la régulation de l’artificialisation des sols est en route tant son impact sur le climat, l’environnement et la santé est important.

Outre des recours, la mobilisation continue pour alerter et informer la population abreuvée d’un greenwashing incessant dont cet « éco-quartier » détruisant des terres pour financer ailleurs ce qui s’apparente à des caprices d’aménagement urbain, est un terrible symbole.

Thomas COTTINET

Plus d’informations sur https://changeonsderetaverny.fr/